
Les salariés peuvent-ils être autonomes ? | terra nova
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_« Soyez autonomes »_, _« travaillez comme une start-up ! »_ Ces injonctions résonnent comme les nouveaux mantras à la mode dans les entreprises. Mais quelle place réelle est laissée à
l’initiative, lorsque les salariés croulent sous les demandes de feed-back et de « reportings » ? Cette contradiction a été au cœur du colloque sur l’autonomie au travail organisé par
l’Observatoire des cadres fin janvier. En effet, _« contre toute attente, les enquêtes montrent que l’autonomie au travail régresse »_, a dénoncé Martin Richer, coauteur d’un rapport de
Terra Nova sur la qualité de vie au travail. Les études de la Dares sur les conditions de travail confirment que, depuis la fin des années 1980, les salariés n’ont cessé de voir leur
autonomie diminuer. En cause, la taylorisation du travail et la multiplication des process destinés à éliminer tout aléa afin d’augmenter la performance des salariés. Mais aussi la
prolifération des normes encadrant la production. _« Ces quinze dernières années ont vu naître des processus très encadrants, liés à la gestion des risques_, constate Jean-Marc Dubau, chargé
de mission chez Transdev. _Cela a été vécu par les salariés comme la privation d’une certaine liberté. _ » Spécificité hexagonale Cette réalité cache aussi une spécificité bien hexagonale.
_« La France est un des pays où la distance hiérarchique est la plus forte, plus forte même que dans certains pays du Sud ou au Japon »_, indique M. Richer, citant à l’appui les études de la
Fondation de Dublin sur les conditions de travail en Europe. Mohamed Abu Baker, responsable des projets internationaux de transformation des data centers chez Hewlett-Packard, ne dit pas
autre chose : _« Dans une organisation française, la voie de la hiérarchie est assez présente, tandis que les Nordiques sont dans une démarche plus consensuelle. »_ L’homme sait de quoi il
parle, puisqu’il a réussi à négocier une solution alternative avec la direction d’HP basée en Suède pour empêcher la délocalisation de data centers. _« Aujourd’hui, les entreprises entendent
davantage la demande d’autonomie des salariés, _relativise Xavier Baron, consultant et chercheur en gestion des ressources humaines. _Mais les deux parties ne parlent pas toujours de la
même chose._ » Ainsi, _« l’autonomie au travail n’est parfois qu’une injonction, sans qu’il soit donné les ressources nécessaires au salarié en matière de temps, de formation… C’est parfois
une manière de décharger les responsabilités », _ alerte M. Richer, qui dénonce, à titre d’exemple, le dévoiement du_ lean management _et du concept de « l’entreprise libérée ». « Le pouvoir
de dire non » Pour le consultant, trois conditions sont nécessaires pour une véritable autonomie au travail : le salarié doit pouvoir organiser son travail librement (rythme, horaires…),
mais aussi avoir la possibilité d’influer sur les décisions de l’équipe dans son ensemble et bénéficier d’un véritable dialogue social dans l’entreprise. _« C’est seulement lorsqu’on délègue
du pouvoir que l’on peut donner les conditions de l’autonomie », _explicite M. Richer. _« L’autonomie, c’est le pouvoir de dire non »_, fait valoir Jean-Paul Bouchet. Ancien cadre dirigeant
d’une SSII, l’homme s’est trouvé en opposition avec son comité de direction sur une décision à prendre. Une situation difficile, qui s’est terminée par une rupture transactionnelle. _« Ce
n’est pas simple de dire non quand on est isolé sur une position_, prévient M. Bouchet. _Il faut aller chercher des appuis en interne, capitaliser sur son expérience professionnelle et être
lucide sur les rapports de force._ » Impliquant le pouvoir d’influer sur les décisions, l’autonomie réelle ne paraît pas donnée à tout le monde. Mais des salariés débordés ont-ils vraiment
le temps de réfléchir au bien-fondé de leurs tâches ? Surtout, les salariés eux-mêmes peuvent être demandeurs d’un cadre. _« Il y a une attente de la part des collaborateurs, qui veulent
avoir un retour sur leur travail », _constate M. Dubau. _« Il ne s’agit pas de passer d’un monde à l’autre, mais de rechercher des équilibres, _constatePascal Ughetto, chercheur spécialiste
des transformations du travail et professeur à l’université Paris-Est - Marne-la-Vallée. _On prône le “management en mode start-up”, mais la start-up qui grossit doit aussi faire face aux
problèmes de contrôle ! » _Afin de redonner des marges de manœuvre réelles aux salariés, le spécialiste souligne la nécessité d’une refonte profonde de l’organisation du travail. _« S’il n’y
a pas, au niveau de la direction, l’autorisation donnée à chacun de pouvoir se tromper et d’être en dehors des clous, l’autonomie restera un vain mot »_, prévient-il. Catherine Quignon