
« Mutation dans l'intérêt du service » : à Créteil, le rectorat réprime brutalement deux enseignants
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Depuis plusieurs années, Vincent et Catherine, militants syndicalistes et combatifs du collège François Mitterrand, se battent aux côtés de leurs collègues contre le management autoritaire
et brutal de leur direction, maltraitant personnels et élèves. Pour avoir osé s’organiser contre des pratiques autoritaires et maltraitantes qui génèrent un malaise et une souffrance au
travail, ces derniers ont subi une « mutation dans l’intérêt du service ». Vincent, que nous avons interviewé, revient sur cette décision : « Nous avons pu consulter notre dossier lundi de
la rentrée. Les synthèses qui y figurent sont à charge et ce sont des tissus de mensonges, extraits d’une enquête administrative menée par le rectorat, soit-disant pour résoudre les
problèmes, mais qui a essentiellement servi à cibler notre engagement auprès des collègues ». Le rapport du rectorat est en effet éloquent : on lui reproche d’être « identifié comme un
membre du noyau dur » et « une mécanique de déstabilisation de l’autorité de la principale et de la principale adjointe ».
Cette répression est une manifestation de l’autoritarisme de plus en plus croissant de l’institution. En effet, à travers cette mutation, le rectorat, main dans la main avec la direction de
l’établissement, réprime et divise une équipe qui a osé relever la tête. La mutation de Vincent et Catherine couronne une bataille acharnée menée jusque-là par la direction, avec l’appui du
rectorat, pour les faire taire.
Cela fait plusieurs années que la principale de l’établissement, en poste depuis 2018, a instauré un management autoritaire, méprisant et dégradant les personnels et leurs conditions de
travail ; tout en imposant un climat de terreur générant beaucoup de souffrance. Celui-ci n’a cessé de s’intensifier à mesure que Vincent, Catherine et leurs collègues se sont organisés pour
s’opposer à ce management brutal. Ainsi, la « guerre » que leur mène la direction a commencé lorsque ces derniers ont monté une liste au CA qui visait, entre autres, à construire une
opposition au management et à la gestion de l’établissement imposée par leur cheffe. Vincent explique : « En septembre 2022, des collègues ont constitué une liste au CA avec des objectifs
clairs, dont celui de défendre les personnels, avec un affichage syndical SNES, SUD et sympathisants. Cela a été pris par la direction comme une guerre déclarée ». C’est à partir de là que
les intimidations et tentatives de musellement ont commencé : « Après un an de diverses batailles et une parole largement confisquée au CA puisque le règlement permet à la principale de tout
décider, j’ai été convoqué pour un motif fallacieux. Je me suis agacé auprès de la principale adjointe d’une injustice commise. Elle a dénoncé cela comme une “agression” et en conséquence
j’ai été convoqué, d’abord localement, puis au rectorat ».
Un coup de pression au but dissuasif visant à envoyer un message au reste des collègues. Cette convocation n’a par ailleurs pas été la seule. En 2023, suite à une audience au rectorat,
demandée par les collègues subissant la violence de la direction, le DASEN adjoint conclut en demandant à la rectrice de lancer une enquête administrative, restée sans suite. Les personnels
de l’établissement demandent alors une relance en octobre 2024. Vincent est alors convoqué une deuxième fois au rectorat : « Le 10 décembre 2024, au lendemain de mon audition pour l’enquête
administrative, je reçois une convocation du rectorat, pour le retour des vacances, le 9 janvier, histoire de bien gâcher mes vacances. Je découvre alors le motif : deux pages et demie
tissées de mensonges, où je suis dépeint comme un agresseur et un manipulateur ». Plus récemment, une autre collègue a été convoquée à son tour pour avoir dénoncé l’autoritarisme de la
cheffe d’établissement : « en CA, elle a interpellé la principale, en lui disant « Madame où est ce qu’il y a de la démocratie ? Quand est-ce qu’on discute ? Vous êtes une autocrate ». Elle
s’est retrouvée convoquée, générant une anxiété importante. Dans le dossier, les propos étaient à nouveau ignobles, à charge, avec des faits rapportés tronqués ».
Parallèlement, la direction s’est appuyée sur une partie de la salle des profs pour diviser et généraliser ce climat de tension et de terreur. S, enseignant du collège, témoigne : « La
principale a créé ce que j’appelle une petite mafia, par du népotisme. Elle a acheté des collègues pour qu’ils se rangent de son côté, avec quelques heures supplémentaires et IMP, en
favorisant des palmes académiques, en couvrant les comportements problématiques de certains. Tout cela a abouti à un clivage dans la salle des profs, entre ceux qui prennent conscience des
violences managériales, et ceux qui ont pris le parti de la direction et en profitent ». A l’inverse, un traitement différencié et discriminatoire a été instauré par la direction envers
celles et ceux qui dénoncent son management. « L’ancienne gestionnaire a été malmenée pendant deux ans. L’infirmière est partie après qu’on lui ait enlevé des missions, par exemple sur les
questions de genre et sexualité, confiées à un collègue proche de la direction », relate Vincent. Autre exemple : « Toutes les sorties ont été annulées pour les collègues proches de la liste
du CA. Une décision prise à l’encontre des collègues, sans même réfléchir deux secondes aux conséquences pour les élèves ». Quant à Catherine, elle a été « malmenée au quotidien et a subi
divers coups de pression ». On est ici face à des méthodes patronales de harcèlement classique : une mise au placard, avec un système de punition permanent faisant du quotidien un enfer et
générant énormément de stress. Vincent explique en effet que « nombre de collègues prennent des arrêts, arrivent au collège la boule au ventre, dans un état psychologique dégradé. C’est le
new management public dans ce qu’il y a de plus dégueulasse ».
Ce cas précis dit beaucoup du renforcement répressif de l’institution. Dans un contexte de casse néolibérale de l’éducation, l’institution a besoin d’un management de plus en plus
autoritaire pour imposer sur le terrain les réformes successives qui génèrent de la colère auprès des personnels et des élèves. Alors que les personnels du collège François Mitterrand
espéraient trouver un appui auprès du rectorat, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Les enquêtes étaient dès le début tronquées, visant à étouffer la contestation, voire même à légitimer
la violence de la direction comme l’ont montré les convocations au rectorat qui ont ponctué ce processus.
« On a pu constater que le coordinateur de l’enquête avait un lien de proximité avec la principale. Quant aux auditions, elles étaient orientées pour pointer vers Catherine, cheville
ouvrière de la liste syndicale, représentante échelon 1 du SNES », relate un enseignant.
L’annonce des mutations forcées a généré sur le coup un sentiment légitime d’injustice et de choc. Une enseignante que nous avons interviewée, D. explique : « Au collège, on subit l’ambiance
délétère, qui met en souffrance beaucoup de personnels. Suite à l’annonce des mutations on s’est tout d’abord senti impuissants et choqués. Tout le monde espérait que l’enquête condamnerait
les responsables de la violence qui s’abat contre nous et contre les enfants. On avait d’ailleurs tracté auprès des parents pour dénoncer le comportement maltraitant de la direction ».
La situation dans le collège montre par ailleurs comment la répression des personnels et celle des élèves participe d’une même logique, celle de la mise au pas de l’ensemble du secteur. En
effet, le management de la direction est également brutal vis-à-vis des élèves. Une situation que D. dénonce : « Il y a une ambiance très tendue au collège parce que dès qu’un prof dénonce
des violences et des insultes homophobes, racistes ou sexistes proférées aux enfants, la direction les intimide et protège même les profs maltraitants ». Ainsi, la direction couvre les
violences commises à l’égard des élèves, tout autant qu’elle a mis « des plaintes de parents sous le tapis ». D. ajoute : « Un enseignant, connu pour des propos misogynes, sexistes et
racistes, humilie les gamins en classe, se vante de faire pleurer les parents en entretien, tient des propos homophobes, sexistes, validistes. Il a saisi violemment un élève par le bras, qui
s’est retrouvé en pleurs. Envoyé dans le bureau de la principale, elle lui a expliqué que ce n’était rien, qu’il ne s’était rien passé ».
Cette attitude vis à vis des élèves s’inscrit pleinement dans un projet d’école de plus en plus répressif vis-à-vis de la jeunesse. Ce projet nécessite qu’une frange de personnels accepte de
l’incarner, en se faisant le relais du renforcement autoritaire et répressif entrepris par le gouvernement.
C’est dans ces coordonnées que la répression à l’encontre des personnels refusant le sens des réformes s’accentue. La répression de Vincent et Catherine, loin d’être un coup d’essai, fait
écho à une longue liste de professeurs réprimés pour leur engagement pédagogique et/ou militant. Du collège République de Bobigny à l’école Pasteur de Seine Saint Denis en passant par la
professeure d’école Hélène Careil, Kai Terada à Nanterre, les professeurs du lycée de Melle, d’Angela Davis ou de Berthelot. Pour ce faire, la nouvelle méthode de répression instaurée depuis
le premier quinquennat de Macron est précisément ces mutations dites « dans l’intérêt du service », qui permettent à l’institution de réprimer administrativement sans prononcer et motiver
de sanction disciplinaire, et donc avec beaucoup plus de latitude.
Ces dernières semaines, ce système de répression très dur tend à se généraliser, notamment dans le 93. Dans le collège Jean Lolive à Pantin, trois enseignants viennent d’être mutés dans
l’intérêt du service. « C’est un test qui est fait, pour que les collègues de Jean Lolive et nous servions d’exemple », déclare Vincent. « L’intersyndicale 93 s’inquiète de cette méthode qui
commence à s’enraciner pour punir ceux qui essayent de se battre ». Cette accélération de la répression dans le 93 intervient après une année de mobilisation profonde et subversive autour
du plan d’urgence 93. Elle vise à mettre au pas ceux qui oseraient prendre la relève.
Les collègues de François Mitterrand sont prêts à se battre pour la réintégration de Catherine et Vincent. Vendredi 2 mai, ces derniers étaient massivement mobilisés : 17 en droit de
retrait, 6 en grève, sur 36 enseignants. « Les 2/3 des collègues se sont mobilisés, ce qui détruit le récit de la direction qui cherche à dire qu’on est isolé et à nous faire passer pour des
révolutionnaires échevelés », affirme Vincent. Ils cherchent d’ailleurs à faire de cette mobilisation un combat plus large, en alliance avec les parents d’élèves et en s’adressant à
l’ensemble du secteur. En ce sens, deux pétitions circulent, une à l’initiative des enseignants, réunissant plus de 1700 signatures, et une autre engagée par les parents qui s’emparent eux
aussi de cette lutte. 500 signatures avaient été réunies en 3 jours et un projet d’école morte est envisagé.
Si la DSDEN s’est refusée à reconnaître officiellement le droit de retrait, elle a annoncé ne pas engager de retrait de salaires. Suite aux droits de retrait, le rectorat a dû réunir une
Formation Spécialisée.
Tout cela témoigne de l’importance du rapport de force pour faire reculer la répression. Mais la radicalisation de l’institution exige un niveau de mobilisation exemplaire pour gagner. Il
n’y a rien à attendre de l’institution en elle-même. « On a joué le jeu de l’institution, on a été les profs sages, on est jamais sorti des clous, et même ce genre d’attitude « loyale »,
légaliste, nous amène à cette situation », souligne à juste titre Vincent.
Face à l’intensification de la répression, seule la solidarité et la mobilisation la plus large peuvent faire reculer l’institution. Pour la construire, une campagne syndicale et politique
résolue est nécessaire, en poursuivant les liens avec les parents du collège, mais aussi en lien avec les autres établissements pour exiger le retrait de toutes ces mutations. Seul un tel
rapport de force a permis aux répressions passées de ne pas aboutir, à l’image de Kai Terada, d’Hélène Careil, ou des 4 de Melle.