
« Zen » : itinéraire du late show « le plus ambitieux d'Internet » | la revue des médias
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:
Le show de « La Dernière » de « Zen » a eu lieu le 15 novembre à Paris-Bercy, en présence du duo d'humoristes Éric et Ramzy.
Des invités prestigieux et un ton inédit : en trois ans, l'émission de Maxime Biaggi est devenue emblématique de la plateforme Twitch et bien au-delà, jusqu'à remplir l'une des plus grandes
salles d'Europe en quelques minutes.
Ils sont encore en train de s’en remettre. Maxime Biaggi (Maxime Ricoveri), 27 ans, et Grimkujow (Mathis Noinin), 23 ans, viennent de mettre un point final à trois ans de late show sur
Internet. C'était le 15 novembre dernier devant 12 000 spectateurs, à Paris-Bercy — les billets ont été vendus en seulement quatorze minutes. Sur scène, assis dans deux fauteuils, les
invités d'honneur Éric et Ramzy n’en revenaient pas : « En trois ans, en arriver là, faire votre dernière à Bercy, c’est très émouvant pour nous. » La fin d’une aventure rythmée par un show
diffusé toutes les deux semaines. Leur parole est rare. Les deux animateurs, leurs producteurs et auteurs, encore groggy par l’expérience, nous donnent rendez-vous pour revenir sur
l’ascension d’une émission unique en son genre.
Il faut remonter à 2021, au moment où Maxime Biaggi, Stéphane Cochara et Thibault Braccio travaillent pour « Millenium ». Ce site d’actualité d’e-sport est hébergé par Webedia, une agence où
des créateurs de contenus sont également accompagnés. Toujours en poste, les trois amis parviennent à négocier pour obtenir un petit studio « dans une cave », et réaliser leur propre
émission. Zen — « nez » à l’envers, en référence à celui de l’animateur — apparaît sur la plateforme de streaming Twitch le 25 octobre 2021, filmée en direct. Une émission de divertissement
avec à l’écran des têtes connues, notamment sur les réseaux sociaux : Maxime Biaggi et Yass. Peu à l’aise dans cet exercice, ce dernier est remplacé par Grimkujow dès la deuxième émission.
L’équipe qualifie sans détour cette première saison de « laboratoire » : un talk-show à la forme mouvante avec de l’actualité, des invités en tout genre, des jeux, des moments inattendus. «
On a senti qu’il y avait un potentiel avec cette émission. Au cours de l’année, on a décidé de fonder notre propre société de production, de la coproduire avec Webedia et de travailler
dessus à temps plein », explique Thibault Braccio.
Si les audiences décollent légèrement au fil des mois, c’est dès la deuxième saison que Zen prend un tournant décisif. La direction artistique est plus assumée, les présentateurs sont
habillés à chaque émission en chemise et veste de costume, dans un nouveau studio. « On s’est clairement inspirés des late show américains, avec le bureau, la ville en fond, un seul invité
qui reste tout le long », précise Stéphane Cochara qui défend une ligne éditoriale plus claire. « Les gens pouvaient retrouver des repères, des rendez-vous réguliers », complète Grimkujow.
Apparaissent des happenings, ces sketchs inattendus, loufoques, en lien avec l’invité, moteurs du succès de l’émission. S’y glissent de nombreuses références à la culture Internet, à
l’actualité. S’installent des personnages récurrents incarnés par Elian Ventre, Theorus, ou encore Benjamin Haddad, qui interprète régulièrement la caricature d’un « sniper », un chroniqueur
à l’humour extrêmement vulgaire. Et s’affirme un ton unique : un subtil mélange d’interviews sérieuses, d’absurde et de bides volontaires, de « flops ».
Le tout est majoritairement écrit, répété et a pour objectif de surprendre l’invité, le présenter sous un angle inédit. Reste la part d’improvisation des deux animateurs. « C’est l’humour de
Maxime, très second degré et dans la comédie, mélangé à celui de Grim, plus glaçant et provocateur, c’est le mélange des deux personnalités qui a donné ça, naturellement. On n’a jamais
donné de consignes sur l’humour en tant que producteurs », nous raconte Stéphane Cochara. Cela donne des scènes volontairement gênantes et parfois mal comprises. « Certains ne comprenaient
pas pourquoi l’émission n’était pas drôle, d’autres nous disaient qu’on était des génies, se remémore avec un sourire en coin Maxime Biaggi. Mais ça a aussi forgé son identité. »
Premier invité de cette nouvelle version, en septembre 2022 : le rappeur Bigflo. « C’est l’émission avec laquelle on a été vraiment vus. Il y avait un truc un peu magique, avec un invité qui
joue le jeu à 1 000 %. C’est l’émission qui a posé toutes les bases de l’après », confie Thibault Braccio. Bigflo est interrogé sur son parcours, confronté à ses propres bad buzz, et invité
à jouer à des jeux manifestement faits d’accessoires bas de gamme. « En plus, on avait un problème de climatisation, il faisait très chaud dans le studio. Il y avait un truc un peu
enivrant, qui a créé un état d’humour, un ton exceptionnel. » C’est le premier épisode à passer la barre du million de vues sur la rediffusion Youtube, qui va devenir un canal important.
« C’est un autre public. On se rendait compte que Twitch, c’était notre rampe de lancement mais ce n’est pas là où les gens sont le plus présents. Finalement, la force de frappe de Youtube
est trop forte, tu peux faire un million de vues assez facilement », observe Maxime Biaggi. La chaîne Youtube de « Zen » cumule aujourd’hui plus de 200 millions de vues. Les invités, les
happenings, les moments forts sont de plus en plus découpés et publiés sur TikTok et Instagram. « On était les premiers à mettre des extraits verticaux d’une émission Twitch sur les réseaux,
à le faire sérieusement, fait remarquer Stéphane Cochara. Et ce qui nous a beaucoup aidés aussi, ce sont les gens qui tombent sur des extraits de notre émission sans que ce soit le compte
de “Zen” qui les ait publiés. » Des vidéos virales, plusieurs millions de vues cumulées au total. Les statistiques explosent, y compris en direct. « Zen » gagne une crédibilité lui
permettant de s’offrir en plateau les plus gros créateurs de contenus, de McFly & Carlito à Inoxtag, en passant par Léna Situations, Mister V et Cyprien.
Fin de saison, juin 2023. Squeezie, le Youtubeur aux 19 millions d’abonnés, est invité pour une émission en direct du Zénith de Paris. 6 000 spectateurs ont acheté leur billet, la salle est
au complet. Le direct enregistre un record d’audience sur Twitch, avec 187 000 viewers et plus de 4 millions de vues sur la rediffusion Youtube. Au cours de la soirée, l’équipe annonce
d’ores et déjà que la troisième sera la toute dernière saison de Zen, pour ne pas épuiser le concept. La préparation de l’émission est aussi particulièrement chronophage, selon les associés,
qui veulent développer davantage de projets personnels — le cinéma, par exemple, pour Maxime Biaggi.
L’équipe pensant avoir fait le tour des personnalités issues d’Internet, il est décidé pour le retour en septembre d’élargir le spectre d’invités. « On pensait qu’on pouvait avoir Timothée
Chalamet », témoigne ironiquement Grimkujow. « En fait, on s’est dit qu’on avait un concept assez novateur et populaire, se remémore précisément Stéphane Cochara. Il y a plein d’acteurs et
actrices qu’on voulait inviter, on a tenté. Mais on a fait face à des réalités d’agenda et du système pour avoir des grosses têtes d’affiche, qui nous ont souvent bloqués. On a découvert
tout ça. » Il faut dire que la production de l’émission nécessitait de mobiliser l’invité plusieurs jours avant le direct, notamment pour tourner des scènes d’un court métrage diffusé à
chaque fois en fin d’émission. Une contrainte souvent incompatible avec l’emploi du temps de promotion des acteurs les plus demandés.
Dans un décor encore plus moderne pour leur ultime saison, Maxime Biaggi et Grimkujow parviennent tout de même à interviewer Fabrice Eboué, Ahmed Sylla, Soso Maness, Malik Bentalha, etc. Si
les personnalités se sont largement prêtées au jeu, des critiques d’un noyau dur de fans de l’émission persistent, hermétiques aux invités qui ne viennent pas de Twitch. Des messages sont
postés sur les réseaux sociaux à chaque annonce de l’hôte du jour. « On était les rois du monde au début de la deuxième saison, et à la troisième on avait l’impression que les gens [nous]
rejetaient totalement. On nous disait qu’on était des “vendus”, même quand on invitait des Youtubeurs », décrit amèrement Grimkujow. Toute l’équipe, remuée par ces désapprobations publiques,
a traversé de nombreuses remises en question malgré des audiences toujours dans la moyenne. Maxime rajoute : « On ne voyait que ces 200 personnes qui critiquaient. On pensait qu’on était
détesté. »
« “Zen” était presque davantage une émission de télé en termes de moyens »
Mais pour clôturer l’aventure, la bande d’amis voit les choses en grand, et souhaite faire la toute dernière émission en public, à l’Accor Arena de Bercy. « On pensait qu’on ne remplirait
pas, mais autour de nous tout le monde nous disait que si », se remémore Thibault Braccio. Passé les nombreux obstacles pour obtenir la location de la salle et organiser l’événement, Éric et
Ramzy sont annoncés en invités, et l’ensemble des places vendu en moins d’un quart d’heure. Du jamais vu pour un late show. « Là, à la fin, les gens étaient contents, on a été épargné des
critiques », pointe Maxime Biaggi. Deux heures et demie d’interview et de spectacle préparé pendant plusieurs semaines.
Le show a coûté plus d’un million d’euros, financé en grande partie par des opérations commerciales, des partenariats avec des marques, comme le reste de l’année. « On a fait un exercice
qui, dans l’écosystème d’Internet, normalement, n’est pas vraiment viable. C’est colossal en termes de moyens déployés », analyse Stéphane Cochara. « C’était le late show le plus ambitieux
d’Internet, qui est un écosystème très différent de celui de la télévision : sur Twitch, on n’est pas rémunéré quand on diffuse, alors que France Télévision nous a acheté les droits de
diffusion pour sa plateforme. “Zen” était presque davantage une émission de télé en termes de moyens. » En face, les autres émissions importantes sur Twitch, comme « Popcorn » ou « Backseat
», sont des talk-shows, basés sur des interviews, des discussions et des débats, bien moins coûteux à produire.
France Télévision, par le biais d’un partenariat, a donc codiffusé cette dernière émission en direct sur la plateforme France.tv. Le spectacle s’est retrouvé sur France 2 le lendemain, juste
après « Quelle Époque ». 120 000 téléspectateurs étaient derrière le poste pendant la première partie, selon Médiamétrie, qui n’a pas mesuré l’intégralité du spectacle. Si le groupe public
soutient régulièrement des événements diffusés sur Twitch, c’est la toute première fois qu’est diffusée à la télévision une de ces émissions, ce qui s’inscrit dans une stratégie
d’accompagnement de jeunes talents. « “Zen” est devenu un rendez-vous Twitch extrêmement performant en termes d’audience. C’est aussi une offre très particulière dans l’environnement
Internet : un programme d’humour qui intègre une partie talk-show mais aussi une partie spectacle. Dans la dernière émission, on a vu toute l’étendue de cette dimension », assure Alexandre
Dureux, directeur délégué aux programmes de France Télévisions chargé des contenus jeunes publics, qui regrette l’arrêt de « Zen ».
Cette diffusion sonne comme une petite revanche pour la télévision qui n’a jamais réussi à installer un late show de la sorte. Dernière tentative en date, celui d’Alain Chabat sur TF1 à la
fin de l’année 2022, qui s’est arrêté avec un bilan d’audiences décevant. « On disait souvent que le fait de “roaster” l’invité, s’en moquer, ça ne marche pas en France, observe Vincent
Bilem, doctorant en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle, travaillant en particulier sur Twitch. Avec « Zen », c’est enfin les lettres de
noblesse du late show en France, et ça n’est donc pas à la télévision. » Ce ton de l’émission, en permanence à la frontière de l’absurde et du sérieux, est « consubstantiel à Internet et
c’est sûrement ce qui a fait le succès de l’émission : accepter l’échec, embrasser le fait que ça ne marche pas, plutôt que de vouloir réussir ses blagues à tout prix, comme ont voulu faire
pendant longtemps les late shows à la française. » Le chercheur note aussi que « c’est la première fois qu’une émission se saisit des mèmes, de la culture Internet tout en la tournant en
dérision. Ça a été un moment Twitch. »
France Télévisions, Ouest-France, Arte, TF1... Ils se lancent ou envisagent de se lancer sur Twitch, la plateforme de diffusion en direct (streaming) de jeux vidéo. Plus que l'exploration de
nouveaux formats, il s'agit pour ces médias d'expérimenter une interaction directe avec leur public et de construire une communauté.
Regarder et commenter en direct, sur Twitch, une de ses anciennes émissions : un usage qui a le vent en poupe chez les streamers. En rejouant l'archive, ces « vidéos de réaction » permettent
aux vidéastes et à leur communauté de mesurer ensemble le chemin parcouru, notamment sur des sujets de société.
À côté des journalistes et des consultants, les humoristes sont nombreux à jongler avec l’actualité sportive. Le pilier Julien Cazarre, toujours en activité, a suscité de nombreuses
vocations.