
À qui profite le label google fact check?
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Google vient de proposer aux éditeurs de presse un label Fact Check, permettant de mettre en valeur l'information vérifiée sur son agrégateur Google News. Analyse. Guillaume Sire Publié
le 24 octobre 2016 Si Google et les journalistes étaient deux individus, leur relation ne pourrait être mieux décrite que par l’archi-célèbre et très comique : « c’est compliqué » de
Facebook. Économiquement, les entreprises de presse et le propriétaire du moteur ont en effet une relation à la fois coopérative (sur le marché de l’accès aux contenus, leurs services sont
complémentaires) et compétitive (sur le marché de la publicité en revanche, ils sont concurrents) – qu’on appelle « coopétition ». Du point de vue de la propriété intellectuelle, et pour
faire vite, Google a le droit de reprendre les premières phrases du contenu des éditeurs à condition d’y ajouter quelque chose, autrement dit de proposer un complément plutôt qu’un
substitut. Certaines entreprises de presse prétendent néanmoins qu’il y a substitution, dès lors que de nombreux visiteurs se contentent des phrases qu’ils lisent sur le moteur Google et
l’agrégateur Google News, les titres et les premiers mots des articles, sans avoir besoin de cliquer pour en savoir davantage, et donc sans jamais être exposés aux publicités rémunératrices
pour les entreprises de presse. C’est pour cette raison que le très virulent Rupert Murdoch, patron de News Corp, accuse Google de « manger son hamster » et n’hésite pas à traiter les
propriétaires du moteur de « voleurs ». En dehors de l’aspect économique et de la propriété intellectuelle, se posent également la question du rôle social de Google — le moteur doit-il être
considéré comme étant fondamental pour la démocratie au même titre que l’activité des entreprises à visée journalistique (et donc bénéficier des mêmes droits et des mêmes devoirs) ? — et
celle de la responsabilité : les ingénieurs de Google sont-ils responsables du contenu indexé et pointé par le moteur qu’ils ont créés au même titre qu’un journaliste qui aurait écrit ce
contenu ? Les réponses à ces questions sont loin d’être évidentes et opposent en général deux points de vue : 1/ Google est un outil neutre et irresponsable 2/ Google est un éditeur
subjectif et responsable du contenu qui figure sur ses pages. Mais ces positions sont toutes deux réductrices et extrêmes (qu’est-ce qui est extrême et n’est pas réducteur ?), comme l’a très
bien expliqué James Grimmelmann. La tension est à son comble entre substitution et complémentarité avec l’outil Google News. L’agrégateur ressemble en effet à s’y méprendre à un site de
presse. D’autant que ces dernières années, grâce à des données structurées spécifiques (issues du protocole schema.org) et aux possibilités offertes par les balises HTML, Google a pu faire
figurer sur ses propres pages certaines méta-informations précieuses comme la date de l’article, le nom de l’auteur, parfois sa photo, ou encore la mention « article de fond » quand le lien
renvoyait vers un article identifié comme tel. Depuis le 13 octobre dernier pour le moment seulement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, Google indique également quand l’information
pointée a fait l’objet d’une vérification de la part des journalistes : un « _fact-checking _» comme on dit dans les milieux autorisés. Le _fact checking_ consiste à vérifier les
informations divulguées par une source, autrement dit à ne jamais se contenter d’une seule source, que celle-ci soit un politicien, une organisation, un individu ou un autre journaliste. Les
éditeurs de presse, au moment de publier un article, peuvent utiliser les métadonnées « ClaimReview » pour « signifier » au moteur de recherche que les informations ont été soigneusement
vérifiées. C’est parce qu’ils font cela, et à la seule condition qu’ils le fassent, que Google News peut insérer automatiquement un logo indiquant que les faits mentionnés par le contenu
vers lequel le lien pointe ont été vérifiés. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : les éditeurs ont-ils intérêt à jouer le jeu ? Ou bien ont-ils intérêt, même dans le cas d’un
fact-checking, à ne pas fournir cette information à Google, qui s’en sert pour enrichir les informations fournies à ses utilisateurs ? La réponse, là encore, n’est pas évidente. Du côté
coopératif, les éditeurs ont intérêt à jouer le jeu puisque cela donne un signal positif à Google, qui peut s’en servir pour mieux référencer leurs contenus et leur envoyer davantage de
trafic. Du point de vue compétitif, en agissant ainsi, ils aident Google à certifier qu’une information est vérifiée sans avoir eu autre chose à faire qu’à paramétrer son moteur de façon à
ce qu’il puisse lire et utiliser les métadonnées renseignées par l’éditeur. Le lecteur, satisfait, n’aura pas à se rendre sur le site de l’éditeur pour savoir si oui ou non les faits et les
données mentionnées dans le chapeau de l’article ont fait l’objet d’une vérification de type « fact-checking ». Ainsi, le rôle de Google et celui des journalistes se mêlent de plus en plus
sans jamais se confondre, et il s’agit d’avoir à l’esprit que les enjeux ne sont jamais évidents à saisir et que la situation ne sera jamais ni parfaitement coopérative, ni parfaitement
compétitive. Elle est résolument « coo-pétitive », au point qu’il est impossible de dire si oui ou non les entreprises ont intérêt à faire ce qui devrait être fait pour que la démocratie
fonctionne au mieux ou si, au contraire, économiquement parlant, ils ont intérêt à œuvrer dans un sens qui n’est pas celui de la qualité et du pluralisme de l’information. -- Crédits photos
: _Google HQ_. Spiros Vathis / Flickr. Licence CC BY ND 2.0 [_Présentation du label Fact Check sur un smartphone_]. Blog Google