Dans la fabrique d’« Only Connect », le plus difficile des quiz télévisés | la revue des médias

Dans la fabrique d’« Only Connect », le plus difficile des quiz télévisés | la revue des médias


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« Only Connect » en est à sa 20e saison. L'émission est diffusée sur BBC2 depuis une dizaine d’années après ses débuts sur BBC4.


Le lundi soir, sur BBC2, le Royaume-Uni se passionne pour un quiz à la difficulté extrême. Son concept, tellement british, n'a pas été exporté à l'étranger. Voici comment sont préparées ses


énigmes, aussi brillantes qu'improbables.


Nous sommes dans les environs de Cardiff, au Pays de Galles, en 2018. Frank Paul, Lydia Mizon et Tom Rowell, l’équipe des Escapologistes, sont finalistes de la 13e saison du jeu de quiz « 


Only Connect ». Le plateau, minimaliste, évoque notre lointain « 100 % Questions ». Victoria Coren-Mitchell leur envoie leur première question. « Qu’est-ce qui relie ces quatre indices ?


Voici le premier. » « La température à Chopok, Slovaquie ». Bon. Indice suivant ? « Esquivalience ». Les yeux de Frank Paul se mettent à briller, il sait que ce mot n’existe pas. Sa réponse 


: ce sont des « Mountweazel », des entrées fictives dans des encyclopédies, conçues pour repérer les plagiats. Sa capitaine est incrédule, le buzz est validé, il est capable d’expliquer dans


les moindres détails les deux autres indices qu’il n’a pas eu à demander, et même la présentatrice se fend d’un « Si je n’étais pas déjà mariée, Frank… »


Il se trouve qu’il écrivait son propre livre de quiz, et venait de découvrir le concept. « C’est comme si le destin venait toquer à la porte. J’y repense souvent avec tendresse et


incrédulité », m’a-t-il confié. Ce moment de télévision en or m’a suspendu à ce format découvert mi-2020, où nous avions tous besoin d’échappatoires.


La suite lui a été favorable. Frank est devenu champion du plus difficile des quiz britanniques, et peut-être du monde. Créé en 2008, « Only Connect » (en référence au roman Howards End,


d’Edward Morgan Forster) en est actuellement à sa 20e saison, diffusée sur BBC2 depuis une dizaine d’années après ses débuts sur BBC4. Le programme est religieusement regardé par deux à


trois millions de Britanniques le lundi soir, une audience qui bat régulièrement « Eastenders », le soap national.


Ce jeu se démarque par plusieurs aspects : sa très grande difficulté, qui croît sept mois durant dans un tournoi où 16 équipes de trois personnes s’éliminent les unes les autres. À la clé :


zéro centime, un trophée et un titre prestigieux dans le monde du trivia britannique (autre nom des quiz). Sa présentatrice, Victoria Coren-Mitchell, joueuse de poker pro et autrice, est le


cœur et l’âme de ce format souvent drôle : sarcastique et pince-sans-rire avec les candidats — des têtes qui, généralement, ont rêvé d’être là. On les présente avec une anecdote improbable :


je suis Benjamin Benoit, et une morsure de coati m’a valu quelques visites d’infirmeries de cambrousse au Brésil. « On y trouve une certaine bizarrerie, mais elle est assumée », résume


Jonathan Cairns, champion du jeu avec les Data Wizards.


Jadis, on choisissait les questions derrière une lettre grecque. Un spectateur a trouvé ça « trop snob ». La saison suivante, ils sont passés aux hiéroglyphes.


Le principe se décline en quatre manches. La première est la plus connue — il faut relier des choses d’apparence aléatoire. Les équipes ont quarante secondes et peuvent demander quatre


indices, qui évoquent de plus en plus la réponse. Voici la toute première de l’histoire de l’émission, en 2008.


Ce format, au grand champ des possibles, rend vite accro pour la satisfaction qu’on éprouve quand on a l’éclair de génie. Une nomenclature claire peut se dégager : quel est le point commun


entre Rømer 129,71 — Rankine 910,67 — Kelvin 505,93 et Celsius 232,92 ? On saisit vite que ce sont des températures, mais pourquoi ?


Tous les recoins de la culture générale et de pop-culture peuvent être mobilisés. Et si cette dernière est nécessaire, il faut user de « pensée latérale » pour comprendre les énigmes lancées


aux candidats : entre deux questions demandant des connaissances précises peut se cacher quelque chose de bien plus simple. Découvrir « Only Connect », c’est passer de stupéfaction en


stupéfaction. Une fois par épisode, l’apparition de la question musicale, redoutée, fait rugir tout le monde.


Dans la deuxième manche, cette fois, il faut trouver au plus tôt le quatrième indice : il y a toujours une connexion, et les indices progressent dans une séquence qu’il faut aussi


comprendre. Si le premier indice est « Chirac », vous pourrez buzzer et dire « Macron » et hop, cinq points raflés, un moment évidemment rare dans le jeu qui demande soit une connaissance


très précise, soit un peu de divination. Mais vous l’aurez compris, c’est un peu plus difficile que ça. À haut niveau, ça peut sembler particulièrement cryptique.


Ensuite, les candidats doivent triompher des « murs », où ils doivent ordonner 16 indices par groupes de quatre, concept repris par le New York Times avec son jeu « Connexions ». Puis un


match se conclut sur des « voyelles manquantes » — où tout le monde a le lien et la réponse, mais les voyelles des propositions ont été enlevées, et des espaces rajoutés un peu partout. Tout


ça constitue un menu par épisode, scientifiquement composé par une trentaine d’auteurs, qui grimpe en difficulté toute la saison. En ce sens, les questions des demi-finales et finales sont


aussi brillantes qu’improbables.


Une portion congrue de l’émission est disponible sur YouTube.


Immédiatement hypnotisé par le concept, comme nombre d’internautes étant tombés dedans après une évocation du podcast « Le Cosy Corner », j’en suis devenu son fan français alpha. Et après


avoir moi-même organisé deux saisons françaises sur Twitch, il fallait me rendre à l’évidence : il faut habiter au Royaume-Uni pour y postuler. Pour m’impliquer en tant qu’auteur, il fallait


user de mes trois principales compétences journalistiques : faire des recherches, identifier des sources et demander poliment à la bonne personne. Pour intégrer cette équipe, il fallait


être repéré, et c’était déjà fait. Dans un jeu où le français est la LV2 officielle, j’allais, par définition, apporter du sang neuf à l’émission. Après avoir proposé quelques


questions-test, je suis devenu le premier auteur étranger et non-natif. Désormais, je reste à l’affût de bons concepts et je rends toutes mes copies chaque été, attendant fébrilement de voir


celles qui atterriront dans le jeu, et comment réagiront les candidats.


« Pour qu’une émission reste vivante et fraîche, elle doit évoluer et repousser ses limites », m’a expliqué mon éditeur de questions, Jack Waley-Cohen, entrepreneur et capitaine dans le tout


premier épisode. Les sujets abordés peuvent sporadiquement étonner, mais « dans un souci de ton et d’humeur ». C’est ma mission : apporter une nouvelle perspective.


Être rédacteur pour ce jeu et journaliste sont des tâches semblables : il faut trouver l’amusant et l’extraordinaire au quotidien, parfois dans le plus banal. Tilter au premier groupe


cohérent de quatre, ou danser autour d’une connexion intéressante. Chaque micro-connaissance acquise peut enfin trouver une utilité. Mes souvenirs de solfège m’ont permis de concevoir une


question de séquence musicale très difficile. Être fan de la saga « Sonic », de Wes Anderson et de culture asiatique est devenu une connexion en soi. Revoir « Grease » m’a fait réaliser que


Travolta dansait dans de nombreux films.


Mais la rédaction de questions pour ce jeu est un art complexe. Il faut trouver une bonne idée ou un bon puzzle. Être intéressant, drôle (parfois, ou non), inclusif. Les quatre indices


doivent être variés et progresser selon un rythme scientifique : quel sera le premier, avec lequel on ne part de rien ? Et le dernier, censé « donner » la réponse ? Par exemple : vous


souvenez-vous de ce selfie de macaque qui avait déclenché un feuilleton juridique ? Ça pourrait faire un bon thème. Quel selfie serait le plus évocateur ? Celui de la scène des Oscars avec


Bradley Cooper. Ok, quel est le premier selfie-daguerréotype ? Je l’ai entendu dans le jeu « Life Is Strange »… On met le tout dans l’ordre idéal, et voilà.


Quelques anecdotes historiques sourcées à dérouler pour la présentatrice et voici une question de début de tournoi qui fait un chouette moment de télé. C’était la première de mon cru.


L’avenir vous en montrera des bien plus tordues.


Verra-t-on un jour « Only Connect » en France ? Très peu probable, et même hors du Royaume-Uni. Ce jeu est l’incarnation d’une culture du quiz bien britannique. Le matin, les jeux


ressemblent aux nôtres — mais le lundi soir, c’est le « Quizzy Monday » sur BBC2 — où « Only Connect » (à 20 heures) est entouré de « Mastermind » (19 h 30), émission de quiz à grand


gravitas — les questions sont posées et reçues avec un sérieux extrême, le concept étant inspiré des interrogatoires de la Gestapo — et du vénérable « University Challenge » (20 h 30). « Un


créneau où la BBC remplit sa mission d’être divertissante et éducative », analyse Selina Conroy, de l’équipe des Après-Skiers. « Le Royaume-Uni est l’un des rares marchés où l’on quizze sans


prix, juste pour la fierté, la gloire et le plaisir », abonde Jack Waley-Cohen.


C’est une forme de sérialité différente de nos jeux « à champions » — ici, l’écriture a la même importance que les candidats. Et si tous les candidats contactés ont parfois participé à de


nombreuses émissions, ils reviennent à celle où on ne gagne rien. « “Only Connect” m’inspire dans la diversité des indices contenus dans les questions, combinant l’intellectuel et la culture


pop », résume Frank Paul. Et, bien sûr, une poignée de questions impénétrables pour nous, généralement sur le snooker (variante du billard).


Cette saison connaîtra le 500e épisode. Trouvera-t-on encore des concepts pour mystifier candidats et spectateurs ? Jack Waley-Cohen veut y croire. « J’espère. Après 15 épisodes, les


producteurs n’étaient pas sûrs de tenir quatre saisons, mais nous voilà. »


À vous de jouer maintenant : Chrysippe de Soles. Thomas Urquart, en apprenant la restauration de Charles II. Les fouines dans « Qui veut la peau de Roger Rabbit ». Ole Bentzen, en regardant 


« Un Poisson nommé Wanda ». Ils ont un point commun, même la réponse vous fera rire.


Pour attirer une nouvelle audience sur leurs sites, de plus en plus de médias développent leur plateforme de jeux en ligne. Mots croisés, sudokus et autres activités deviennent un vrai


levier d’abonnement.


Gagner sa vie en jouant : qui l’eut cru ? Et pourtant grâce à Twitch ou encore YouTube, certains streamers sont devenus des stars du marché du jeu vidéo, et leurs parties sont suivies par


des centaines de milliers de spectateurs. Enquête sur ce phénomène.  


Le jeu vidéo le plus joué au monde, League of Legends, est un free-to-play, un titre en accès gratuit. Ce marché lucratif attire des géants de l’industrie tels que Nintendo ou Ubisoft. Pour


autant, le concept ne fait pas l’unanimité. Le free-to-play, risque ou opportunité pour le jeu vidéo ?