Scénario 1 : en 2050, l’information vit un âge d’or

Scénario 1 : en 2050, l’information vit un âge d’or


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QUELLE INFORMATION EN 2050 ? - ÉPISODE 2/5 [Scénario 1/3] Dans vingt-cinq ans, le monde des médias connaîtra un véritable miracle. Les citoyens auront pris en main leur destin


informationnel. C'est le scénario le plus optimiste envisagé dans l'étude prospective de l'Institut national de l'audiovisuel, pour les États généraux de


l'information.  Publié le 12 septembre 2024 En 2050, l’information vit un âge d’or. Le monde s’est pacifié. La bascule est venue de Chine : le Parti communiste chinois n’a jamais pu


fêter les cent ans de la révolution de 1949. Le régime s’est délité, incapable, après la mort de Xi Jinping, de surmonter les défis conjugués de l’essoufflement de la croissance économique


et de la décroissance démographique. Les régimes auparavant dans l’orbite de Beijing se sont ensuite effondrés. En 2050, la démocratie a conquis la quasi-totalité du globe. Bien sûr, la


cybercriminalité n’a cessé de monter en puissance, y compris dans le champ informationnel. Mais les Nations unies se sont dotées des instruments d’intervention et de coopération nécessaires


pour circonscrire la menace. Et, surtout, l’apaisement international a considérablement atténué la guerre de l’information. Sur le plan intérieur, les citoyens ont pris en main leur destin


informationnel, après avoir traversé une crise majeure en 2032. À l’époque, d’importantes manipulations de l’information d’origine interne, habilement exploitées par des puissances


étrangères, avaient conduit à une suspension inédite du processus électoral par le Conseil constitutionnel. Dès lors, les pouvoirs publics comme les citoyens ont pris conscience de la


vulnérabilité des démocraties et de l’importance de disposer d’informations indépendantes et vérifiées. La plupart des citoyens ont ainsi renoué une relation de confiance avec les médias.


Ils participent au financement de la production de l’information – payer pour s’informer est désormais considéré comme relevant de la responsabilité civique – et interviennent dans sa


production. Journalistes, créateurs de contenus et autres producteurs d’informations peuvent en effet s’appuyer sur un socle d’engagement de la part des citoyens qui se mobilisent dans la


construction du débat public, comme lanceurs d’alerte ou en menant des investigations en réseaux. Un véritable nivellement par le haut s’est opéré, qualifié par tous de « miracle


informationnel ». UNE NOUVELLE STABILITÉ Les médias professionnels ont bénéficié d’avancées technologiques significatives. L’IA générative a considérablement stimulé la productivité des


médias et de l’ensemble des producteurs d’information. La plupart des tâches journalistiques techniques (écriture, production d’images, montage) ont été très largement automatisées par l’IA,


sous contrôle humain. Les journalistes se concentrent donc sur l’analyse, l’investigation, les choix éditoriaux, l’exploration de nouvelles thématiques, de nouveaux formats, de nouveaux


services, et sur l’éducation aux médias. Cet investissement technologique coûteux n’est pas compensé par les recettes publicitaires, qui ont connu un inexorable déclin. À la différence du


modèle d’Émile de Girardin, si bien décrit par Balzac dans _Les Illusions perdues_, les médias ne peuvent plus faire appel à la publicité pour couvrir leurs coûts de production et réaliser


des bénéfices. Les utilisateurs ont en effet développé une aversion à l'égard de la publicité en raison des impacts écologiques négatifs de la consommation excessive et d’une plus


grande sensibilité à la captation et à l’exploitation des données personnelles. Les producteurs d’information s’appuient donc sur la rémunération versée par les grands acteurs de la tech


sous forme de redevance et de droits voisins, ainsi que sur le financement direct par les consommateurs. De fait, en 2050, une large proportion des citoyens contribue au financement de


l’information. Ils y sont aidés par la diversification des formules de contribution financière proposées par les producteurs d’information : dons, paiement au contenu, abonnement transverse


à un panel de services numériques, tarification personnalisée au fil de la vie. Les pouvoirs publics continuent d’encadrer l’écosystème informationnel pour garantir la production d’une


information indépendante, de qualité et plurielle. Conséquence capitale, l’information a cessé d’être un enjeu de prédation capitalistique pour les puissances économiques. Elle est peu


rentable, mais suffisamment pour se passer d’investisseurs. L’indépendance des médias n’est plus menacée et de nombreux canaux d’information plus ou moins éphémères, plus ou moins


thématiques, fleurissent en permanence. RISE IS THE NEW RSE De leur côté, les pouvoirs publics ont mené une politique active de régulation. D’une part, en instaurant des mesures de


souveraineté numérique consistant à déployer de puissants garde-fous à l’échelle européenne et nationale et à discipliner les puissantes firmes de la tech. Primo, dans la foulée du premier


IA Act européen, les grands acteurs du numérique (plateformes, services de recommandation, réseaux sociaux, solutions d’IA générative) ont été géographiquement cloisonnés. Chaque réseau


social dispose donc d’une version européenne, interopérable avec la version d’origine. Secondo, leurs algorithmes sont audités et contrôlés en permanence par des IA dont la mission est de


les conformer à un cahier des charges spécifique. Ces IA d’audit sont de véritables commissaires aux algorithmes. Ils exercent un contrôle tout en protégeant le secret des intérêts privés,


ici le secret des algorithmes audités. Au premier rang des obligations faites aux algorithmes des réseaux sociaux figure celle de promouvoir des contenus dont les producteurs ont été


préalablement labellisés et certifiés par un tiers de confiance. Un des critères pris en compte est le fait de sourcer l’information. Les producteurs recourent ainsi, par exemple, à la


blockchain pour garantir l’authenticité de leurs sources publiques. Cette transparence a contribué à renouer la confiance avec une large partie du public. Contrairement au fonctionnement des


premiers réseaux socionumériques, le « droit à l’amplification » (droit à la diffusion massive) n’est plus fonction du caractère émotionnel – et donc outrancier, démagogique – des


informations délivrées, mais de leur pertinence. Les pouvoirs publics se sont, d’autre part, engagés dans une politique active d’éducation aux médias, à l’information et à la citoyenneté


numérique. Elle n’est plus réservée aux seuls écoliers, car elle se prolonge tout au long de la vie active. Elle est devenue un critère à part entière de la responsabilité informationnelle


et sociétale des entreprises (RISE). Dans le cadre de la construction d’une Europe puissance, dont la guerre en Ukraine a convaincu de la nécessité, l’éducation est devenue une compétence


partagée entre l’Union européenne et les États membres. Le programme « One Europe, One Education », colonne vertébrale de la politique européenne d’éducation, a consisté à diviser le temps


scolaire en deux parties, dont l’équilibre varie en fonction des classes d’âge. Une partie des apprentissages est ainsi réservée aux pédagogies et programmes nationaux, sans écran et dans la


langue du pays. La seconde est constituée d’un enseignement européen en anglais (devenu langue neutre au sein de l’UE), intégralement tourné vers la maîtrise du monde numérique. L’ÉCOLOGIE,


CHEVAL DE TROIE L’information a enfin bénéficié d’un allié inattendu… La crise environnementale ! Les effets massifs du réchauffement climatique, l’éco-anxiété et le sentiment d’urgence à


agir ont nourri un fort investissement civique face à ce danger universel. D’autant plus que les politiques de transition écologique ont été adoptées via des instruments de gouvernance de


plus en plus participatifs. L’écologie a été le cheval de Troie de la démocratie directe. Au point que cette dernière est devenue, en 2050, le mode de décision dominant dans le champ


environnemental à l’échelle locale et nationale. Enfin, la décarbonation n’a pu être menée que grâce à des politiques massives de soutien à l’économie et de redistribution au profit des


territoires et populations les moins favorisées. In fine, la transition écologique, comme l’éducation au numérique, a raffermi le lien social. Elle a bien joué son rôle de « New Deal » vert.


Investissement civique collectif, démocratie directe et justice sociale, autant d’inflexions politico-sociétales qui ont contribué à redynamiser le champ médiatique. En conséquence,


l’information est, en 2050, comme l’air que l’on respire. Elle est partout. Encore plus accessible qu’elle ne l’était trente ans auparavant. L’accès et la consommation d’information locale,


voire micro-locale (information du quartier, de la rue, du pâté de maisons), sont plus importants que par le passé. De même pour l’information du monde entier grâce aux IA de traduction


simultanée. Cet accès à l’information peut avoir lieu en temps réel via la dématérialisation des appareils de connexion. Même plus besoin d’écran. De simples lunettes ou écouteurs nous


relient à notre assistant personnel, un clone numérique qui sélectionne les informations à nous présenter, le cas échéant en adaptant le registre de langue ou le niveau de détails à son


utilisateur, dans un parcours de progression. Mais le rôle de l’assistant personnel est plus large et plus essentiel. Il n’est pas là que pour servir son utilisateur. Il a également pour


mission de limiter autant que possible son enfermement dans des bulles informationnelles. Il remplit un rôle éducatif de restriction des biais de confirmation. C’est un outil de renforcement


du lien social. Son algorithme obéit à un cahier des charges comme celui des autres grands fournisseurs de services numériques. Enfin, l’assistant personnel est aussi conçu pour protéger la


population : de la fatigue informationnelle (en identifiant les moments et les formats les plus propices pour s’informer), de la désinformation, des arnaques, du cyberharcèlement. C’est un


pare-feu. LE DROIT À L'AMPLIFICATION La puissance des réseaux sociaux vient de leur capacité à faire caisse de résonance. Ils donnent à certains contenus une visibilité, donc une force


d’influence, démesurée. On peut parler d’un vrai pouvoir d’amplification. Symétriquement, ils condamnent les autres messages à la confidentialité. Or, aujourd’hui, les algorithmes des


plateformes numériques les plus populaires hiérarchisent la visibilité des contenus sur la base de critères opaques et orientés vers un seul objectif : capter le plus longtemps possible


l’attention de l’utilisateur. Le résultat est une tendance lourde à l’amplification des posts les plus démagogiques, extrêmes ou à même de susciter l’indignation. Ce qui attise toutes les


haines et autorise toutes les manipulations. Élaborer un « droit à l’amplification », comme le suggèrent Lê Nguyên Hoang et Jean-Lou Fourquet dans _La Dictature des algorithmes_, remédierait


à ce mal profond. Considérant que la puissance d’amplification ne peut être conférée à n’importe quel contenu, ce droit inverserait la logique actuelle : aucun contenu n’aurait a priori


droit à amplification. Seuls pourraient l’être des contenus validés pour leur solidité factuelle ou leur capacité à apaiser les tensions sociales, comme c’est déjà le cas sur des plateformes


comme Pol.is ou Tournesol. L’émergence de ce droit à l’amplification implique le contrôle des algorithmes des plateformes par des « commissaires aux algorithmes » – eux-mêmes de nature


algorithmiques – à la manière dont les commissaires aux comptes valident les comptes des entreprises sans porter atteinte à leurs secrets commerciaux.